Serfs, artisans et ouvriers

8ème question. – Par quoi l’ouvrier se distingue-t-il du serf ?
Réponse. Le serf a la propriété et la jouissance d’un instrument de production, ou d’un morceau de terre, contre la remise d’une partie du produit ou en échange d’un certain travail. Le prolétaire travaille avec les instruments de production d’un autre, au compte de cet autre, contre la réception d’une partie du produit. Le serf donne, le prolétaire reçoit. Le serf a une existence assurée, le prolétaire n’en a pas. Le serf est placé en dehors de la concurrence, le prolétaire est placé au milieu d’elle. Le serf se libère, soit en se réfugiant dans les villes et en y devenant artisan, soit en donnant à son  maître de l’argent au lieu de travail et de produits, et en devenant fermier libre, soit en chassant son seigneur féodal et en devenant lui même prolétaire, bref, en entrant d’une façon ou de l’autre dans la classe possédante et dans la concurrence. Le prolétaire se libère en supprimant la concurrence elle même, la propriété privée et toutes les différences de classe.

9ème question. – Par quoi le prolétaire se distingue-t-il de l’artisan ?
Réponse. Dans les anciens métiers, après avoir terminé son temps d’apprentissage, le jeune artisan n’était généralement qu’un salarié, pour devenir maître à son tour après un certain nombre d’années, tandis que le prolétaire est presque toujours un salarié pour toute sa vie. L’artisan qui n’était pas encore maître était compagnon de son maître, il vivait dans sa maison et mangeait à sa table, tandis que le prolétaire n’a avec son employeur qu’un simple rapport d’argent. Le compagnons, dans le métier, appartenait à la même catégorie sociale que son maître et partageait ses habitudes, tandis que le prolétaire est séparé socialement de son employeur, l’entrepreneur capitaliste, par tout un monde de différences de classes. Il vit dans un autre milieu, d’une façon complètement différente de lui. Ses conceptions sont absolument différentes des siennes. Dans son travail, l’artisan se servait d’instruments qui étaient en général sa propriété  et pouvait, en tout cas, le devenir facilement, tandis que le prolétaire se sert d’une machine ou d’une partie de toute une machinerie qui n’est pas sa propriété et ne peut pas le devenir. L’artisan fabriquait presque toujours un objet entier, et toujours l’adresse avec laquelle il se servait de son instrument avait une importance décisive pour la constitution du produit, tandis que le prolétaire ne fabrique qu’une partie d’un article, ou ne fait que participer à l’exécution d’un processus partiel de travail pour la fabrication de cette partie, et son adresse personnelle passe au second plan, après le travail de la machine. Elle est souvent plus importante pour la quantité que pour la composition des morceaux d’objets fabriqués par lui. L’artisan était, comme son maître, protégé pendant des générations entières contre la concurrence par les prescriptions corporatives ou par la coutume, tandis que le prolétaire doit s’unir à ses camarades ou faire appel à la loi pour ne pas être écrasé par la concurrence. L’excédant de force de travail l’écrase, lui, et non pas son employeur. L’artisan était, comme son maître, borné, étroit, soumis à l’esprit de caste, adversaire de toute nouveauté, tandis que le prolétaire se voit rappeler à chaque instant que les intérêts de sa classe sont profondément différents de ceux de la classe capitaliste. La conscience de classe se substitue chez lui à l‘esprit de caste et il comprend que l’amélioration de la situation de sa classe ne peut être recherché que dans un progrès de la société. L’artisan était, en fin de compte, réactionnaire, même quand il se rebellait, et la plupart du temps même, précisément à cause de cela, tandis que le prolétaire est de plus en plus contraint d’être révolutionnaire. Le premier progrès social contre lequel se dressa l’artisanat réactionnaire fut la manufacture, c’est à dire la subordination du métier – maître comme compagnon – au capital mercantile, qui se scinda par la suite en capital commercial et en capital industriel. (1)

(1) Depuis, le capital a connu de nouvelles mutations faites de concentrations, de redistributions et couvrant les branches les plus diverses de l’économie : Médias, agriculture, loisirs, culture…

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