Conséquences…

20ème question. – Quelles seront les conséquences de la suppression de la propriété privée ?
Réponse. En enlevant aux capitalistes privés toutes les forces productives et tous les moyens de transport, ainsi que l’échange et la répartition des produits, en les administrant selon un plan établi en se basant sur les ressources et les besoins de la collectivité, la société supprimera tout d’abord toutes les conséquences néfastes qui sont encore liées à l’existence de la grande industrie. Les crises disparaissent ; la production étendue, qui est, en réalité, dans la société actuelle, une surproduction, et constitue une cause si importante de misère ne suffira plus aux besoins et devra être étendue encor davantage. Au lieu de créer de la misère, la production au delà des besoins de la société assurera la satisfaction des besoins de tous, et fera apparaître de nouveaux besoins, en même temps que les moyens de  les satisfaire. Elle sera la condition et la cause de nouveaux progrès qu’elle réalisera sans jeter, chaque fois, comme c’était le cas jusqu’ici, le trouble dans la société. La grande industrie, libérée du joug de la propriété, s’étendra dans de telles proportions que son extension actuelle apparaîtra aussi mesquine que la manufacture à côté de la grande industrie moderne. Le développement de l’industrie mettra à la disposition de la société une masse de produits suffisante pour satisfaire les besoins de tous. De même, l’agriculture qui, sous le régime de la propriété et du parcellement, ne pouvait profiter des améliorations déjà réalisées et des découvertes scientifiques, connaître un essor tout nouveau et mettre à la disposition de la société une quantité tout à fait suffisante de produits. Ainsi, la société fabriquera suffisamment de produits pour pouvoir organiser la répartition de façon à satisfaire les besoins de tous ses membres !1). La séparation de la société en différentes classes antagonistes sera rendue ainsi superflue. Elle deviendra non seulement superflue, mais encore incompatible avec le nouvel ordre social. L’existence des classes est provoquée par la division du travail. Dans la nouvelle société, la division du travail, sous ses anciennes formes, disparaitra complètement. Car, pour porter la production industrielle et agricole au niveau que nous avons dit, les moyens mécaniques et chimiques ne suffisent pas. Les capacités des hommes qui utilisent ces moyens devront être également développées dans la même proportion. De même que les paysans et les ouvriers de manufacture du siècle dernier modifièrent toute leur façon de vivre et devinrent même des hommes complètement différents après avoir été incorporés dans les grande industrie, de même la production en commun par l’ensemble de la collectivité et le nouveau développement de la production qui en résultera nécessiteront et créeront des hommes différents de ceux d’aujourd’hui, dont chacun est étroitement soumis à une branche particulière de la production, enchaîné à elle,  n’a développé , par conséquent, qu’une seule de ses facultés, au dépens des autres, et ne connaît qu’une branche ou même qu’une partie d’une branche de la production. Déjà, l’industrie actuelle a de moins en moins besoin de tels hommes. L’industrie exercée en commun, et suivant un plan, par l’ensemble de la collectivité, suppose des hommes dont les facultés sont développées dans tous les sens et qui sont en état de dominer tout le système de production. La division du travail, déjà minée par le progrès du machinisme, et qui fait de l’un un paysan et de l’autre un cordonnier, du troisième un ouvrier d’usine, du quatrième un spéculateur à la Bourse, disparaitra donc complètement. L’éducation fera traverser rapidement aux jeunes gens tout le système de production, elle les mettra en état de passer successivement de l’une à l’autre  des différentes branches de la production, d’après les besoins de la société ou leurs propres inclinations. Elle leur enlèvera, par conséquent, le caractère unilatéral que leur donne la division actuelle du travail. Ainsi, la société organisée sur la base communiste donnera à ses membres l’occasion d’occuper dans tous les sens leurs facultés développées d’une façon adéquate. Il en résulte que toute différence entre les classes disparaîtra également. De telle sorte que la société communiste, d’une part, est incompatible avec l’existence des classes, et, d’autre part, fournit elle même les moyens de supprimer ces différences de classes.
L’antagonisme entre la vile et la campagne disparaîtra également. L’exercice de l’agriculture et de l’industrie par les mêmes hommes, au lieu d’être fait par des classes différentes, est déjà, pour des raisons tout à fait matérielles, une condition nécessaire de l’organisation communiste. La dispersion de la population rurale à la campagne, à côté de la concentration de la population industrielle dans les villes, est un phénomène qui correspond à une étape de développement inférieur de l’agriculture et de l’industrie, un obstacle au progrès qui se fait sentir dès maintenant.
L’association générale de tous les membres de la société en vue de l’utilisation collective et rationnelle des forces productives, l’extension de la production dans des proportions telles qu’elle puisse satisfaire les besoins de tous, la suppression du système d’organisation social dans lequel les besoins des uns ne sont satisfaits qu’au dépens des autres, la suppression complète des classes et de leurs antagonismes, le développement complet des capacités de tous les membres de la société au moyen de la suppression de la division du travail, telle, du moins, qu’elle était réalisée jusqu’ici, au moyen de l’éducation basée sur le travail, du changement d’activité, de la participation de tous aux jouissances créées par tous, de la fusion entre la ville et la campagne, telles seront les principales conséquences de la suppression de la propriété privée.

(1) Nul doute que la notion de « besoin » doit être revisitée à la lueur des évolutions induites par les évolutions intervenues depuis l’écriture de ce texte.

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